2022-04-11

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Notre belle parlure

On était au début d’un printemps historique. Il tombait encore des peaux de lièvre sur notre vaste territoire, y’avait encore de la neige à ras le châssis pis on continuait un brin de pelleter par en avant avec nos froques et nos culletons bien remontés. On se disait tous pour se renmieuter : «Tiguidou! L’été s’en vient! Galarneau va être de bonne heure sur le piton c’t’année!». Mais tsé, ça prend pas la tête à Papineau pour savoir que nos hivers sont longs pis frettes au Québec! Même si on devait encore chauffer le char, on avait l’espérance d’aller bientôt se sucrer le bec à cabane, de danser une petite gigue pis de swingner la bacaisse dans l’fond de la boîte à bois. À part de ça, le siffleux s’était déjà montré la bette depuis belle lurette.

Bien sûr, c’était avant qu’on frappe notre Waterloo dans le virage de la saison. Juste avant de se faire passer un sapin par un virus et avoir l’impression de piquer la fouille de sa vie. Astheure, on avait la chienne pas qu’un peu. Le diable est aux vaches, qu’on s’est dit! Fallait être vite sur nos patins pis se virer sur un 10 cents au plus sacrant si on ne voulait pas échapper le ballon! Rien que d’un coup, on avait de la broue dans l’toupet, pas le temps de niaiser pantoute, ni de dormir au gaz. Les deux bras nous ont tombés. Y’allait avoir du monde à messe avec la guédille au nez, pas mal plus que deux pelés et un tondu, je vous en passe un papier! On nous a demandé de rester à la maison, de se calmer le pompon pis de pas lâcher la patate. C’est là qu’on a vu qu’on est tricoté serré, nous les Québécoi.es. Même si pas mal tout le monde avait la fale à terre, nos services essentiels avaient du cœur à l’ouvrage et ont pris le taureau par les cornes. Manger nos bas ne nous servirait à rien, mais ça prendrait tout notre petit change pour pas chiquer la guenille et virer d’ssour. On essayait de prendre ça mollo sans toutefois tourner les coins ronds. Le virus continuait de faire du train et d’en beurrer épais. On en avait plein notre casss’. Un méchant lendemain de veille nous attendait. Plusieurs d’entre nous ont perdu leurs jobs, ont dû vivre sur du vieux gagné en attendant, cassés, que le chèque arrive dans malle. Entre l’envie de brailler comme une champlure, de péter une coche, celle de bizouner la maison au grand complet pour remettre ça sur le sens ou l’espoir d’avoir un six pack en soulevant des sacs de cannages comme si on poussait de la fonte, on a appris à mieux se connaître. C’est ben pour dire, on est devenus plus proches en étant plus distancés. Parce que même si cette pandémie nous brassait le Canadien, à un moment donné, il y a eu ces moments où on a pitonné sans limite la télé en s’abriant en famille sur le divan, bien souvent en mou, en ayant l’air de la chienne à Jacques, en ayant les cheveux raides comme de la corde de poche. On s’est montré notre vulnérabilité sous toutes ses coutures.

Notre passé historique nous a assez varlopés qu’on savait qu’on serait capable de se tenir ben drette comme une barre à clous devant la menace. Rien qu’à voir on voit ben : on est de même nous autres, remplis de force comme Louis Cyr, d’entraide et de résilience. Et pis quand l’été va arriver en pleine saison des maringuouins pis des frapabords, on va sentir le redoux en nous. L’envie de se promener dans nos régions, toutes belles et différentes pour se raconter, se jaser pis se redécouvrir avec notre parlure assumée. On a hâte de se recevoir à la bonne franquette, de se bourrer la fraise, de jouer de la musique à bouche, de se dire « Envouèye, dégreille-toi pis tire-toi une bûche! », de se payer la traite ensemble, de se partir une bonne toune en se mettant sur notre 36, un soir de Saint-Jean, comme avant, pour se dire en se bécotant pis en se faisant le plus beau colleux : on a passer à travers.

Quand est-ce que ça va finir ? On donne notre langue aux chats, mais une chose est coulée dans le béton, on va en v’nir à boute. Il a fallu se mettre à l’abri, encore ! On sait que la neige qui tombe va faire fondre l’autre et c’est la dernière tempête qui va coller sur les poteaux, parole de scout ! Ce mautadit virus va débarrasser le plancher pour qu’on puisse se célébrer avec nos mots à nous, nos expressions imagées et drôles, notre parlure originale et spontanée. Et maintenant, mettons tous l’épaule à la roue pour que l’on puisse, ENFIN, fêter tous ensemble ce Québec aux mille accents !

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